Iode : pas seulement pour les catastrophes nucléaires

Chère lectrice, cher lecteur,

Le 4 mars dernier, l’armée russe s’est emparée, dans le sud de l’Ukraine, de la plus grande centrale nucléaire d’Europe, provoquant notamment un incendie[1].

Celui-ci a été rapidement maîtrisé et n’a pas provoqué d’accident nucléaire.

Malgré cela, eu Europe, la population s’est ruée dans les pharmacies, à la recherche de pastilles d’iode[2].

On peut bien sûr se demander si tout cela est justifié… Mais surtout, je m’étonne qu’on ne parle de cet oligo-élément que dans un contexte nucléaire, alors qu’il est au cœur de notre santé générale.

Dans la tête de beaucoup de gens, l’iode permettrait de se protéger contre les radiations.

Non seulement ce n’est pas totalement vrai, mais en plus, c’est réducteur.

Aujourd’hui, je vous brosse un portrait complet de l’iode, et je vous montre pourquoi il est indispensable même en l’absence de risque nucléaire.

Pourquoi prendre de l’iode en cas d’accident nucléaire ?

Si vous vivez près d’une centrale nucléaire, vous avez peut-être reçu des comprimés d’iode.

Depuis 1997, les autorités françaises lancent des campagnes pour distribuer de l’iode aux personnes vivant entre 500 m et 20 km d’une installation susceptible d’émettre des radiations.

Cela concernerait 2,2 millions de Français[3].

Pourquoi une telle campagne de distribution ?

En cas d’accident nucléaire, de nombreuses particules radioactives (qu’on appelle des radionucléides) pourraient s’échapper et contaminer l’air ou l’alimentation.

Ce sont principalement des particules de la famille de l’iode, du césium et, dans une moindre mesure, du strontium, du ruthénium, du tritium et de certains gaz rares (uniquement dans l’air)[4].

Ces éléments radioactifs, lorsque nous y sommes exposés en quantités importantes ou sur de longues durées, peuvent avoir de graves conséquences sur notre santé.

Ils peuvent notamment endommager l’ADN des cellules et provoquer des cancers[5].

Évitez d’irradier votre thyroïde

La supplémentation en iode peut s’avérer utile pour limiter les dégâts d’une exposition à l’iode radioactif (principalement I131).

Selon l’institut français de radioprotection et de sûreté nucléaire, « les rejets d’I131 et leurs conséquences à court terme sont très importants lors de leur rejet. Il est facilement assimilable et rapidement transféré chez l’homme[6]. »

En cas de fuite radioactive, on le retrouve rapidement dans l’air, le lait, les végétaux, la viande et l’eau. Ingéré ou inhalé, cet iode radioactif est capté par notre thyroïde, qui est le principal « consommateur » d’iode dans l’organisme.

Celui-ci peut alors provoquer un cancer de la thyroïde.

C’est pour limiter ce risque que les autorités recommandent de prendre des pastilles d’iode en cas de catastrophe nucléaire.

Prendre une forte dose d’iodure de potassium « juste avant » l’arrivée du nuage radioactif permet de saturer les récepteurs d’iode de votre thyroïde.

Celle-ci ne sera alors plus capable de capter l’iode radioactif et celui-ci ne sera donc pas (ou peu) stocké dans l’organisme, limitant ainsi le risque de cancer.

Mais ce comprimé doit être pris à un moment précis : il faut compter deux heures après l’ingestion de l’iode pour saturer les récepteurs, et les effets durent environ 24 heures[7].

C’est donc une mesure qui permet surtout de limiter les dégâts durant le pic de radioactivité, mais qui ne sera pas utile pour faire face à l’iode radioactif qui pourrait se trouver en quantité importante, et sur une longue période, dans le lait ou les légumes.

Par ailleurs, la prise d’iode n’aura aucun impact sur les autres particules radioactives, notamment le césium, qui pose lui aussi de gros problèmes pour la santé.

Le comprimé d’iode est donc une mesure qui permet de limiter la casse, mais qui ne vous rend pas invulnérable face aux radiations.

Crétinisme, hypothyroïdie… Pourquoi l’iode est aussi précieux pour notre santé

« Crétin des Alpes ! »

Avant d’être une insulte, le terme de « crétinisme » désignait une maladie très courante dans certaines régions.

Autrefois, on trouvait dans les montagnes des hommes à l’apparence étrange.

Ils étaient petits, le teint pâle, souffraient souvent d’un retard mental et de surdité. Ils avaient une grosse excroissance au niveau du cou : un goitre[8].

Il a fallu du temps pour trouver l’origine de cette « maladie ».

Ce n’est qu’au tout début du XXe siècle, qu’un médecin de la vallée de Zermatt, dans les Alpes suisses, découvre qu’une supplémentation en iode permet de réduire nettement la survenue des goitres.

En étudiant les sols, les autorités se rendent compte qu’ils sont pauvres en iode et que certaines populations sont gravement carencées.

En 1922, le gouvernement suisse décide alors d’ajouter de l’iode dans le sel de cuisine (3,75 milligrammes), un modèle qui a ensuite été suivi aux États-Unis, en France et dans de nombreux autres pays, mettant fin au crétinisme.

Ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que l’iode est un oligo-élément indispensable à la santé générale.

Il est capté par notre glande thyroïde et intervient directement dans la fabrication des principales hormones thyroïdiennes : la thyroxine (T4) et la triiodothyronine (T3)[9].

C’est simple : 80 % de l’iode présent dans notre corps est stocké dans la thyroïde[10] !

Ces hormones jouent le rôle de chef d’orchestre de notre organisme et agissent à tous les niveaux : fréquence cardiaque, peau, croissance, production de chaleur, fertilité, humeur, métabolisme et digestion…

Elles sont aussi indispensables au maintien de notre fonction cérébrale.

On comprend alors pourquoi les « crétins des Alpes » souffraient de retard mental ou encore de petite taille.

Comment prévenir l’hypothyroïdie et le déficit en iode

Ces dernières années, les autorités s’inquiètent d’une recrudescence de déficit en iode dans la population[11].

En cause notamment, les campagnes de santé pour limiter la consommation de sel, jugée problématique pour la tension artérielle.

Beaucoup de personnes ont ainsi diminué leur consommation de sel, et par conséquent celle en iode.

Or l’iode reste rare dans certaines régions de France et d’Europe. Il est surtout présent en bord de mer et beaucoup moins dans les zones de montagne.

Sans revenir à l’époque du crétinisme, la carence en iode est, aujourd’hui encore, l’une des premières causes d’hypothyroïdie dans le monde. Un déficit, même léger, suffit à faire baisser la production de T3 et de T4…

Une personne sur quatre de plus de 55 ans serait ainsi carencée. Pour un bon fonctionnement de la thyroïde, il faudrait en moyenne 150 à 200 µg d’iode par jour alors que le taux moyen en France tournerait plutôt autour de 100 µg[12].

Il est donc important de veiller à de bons taux grâce à l’alimentation.

On trouve principalement de l’iode dans les produits de la mer (crustacés, fruits de mer, poisson, algues…). Je vous donne ci-dessous quelques exemples d’aliments qui vous aideront à maintenir un bon équilibre[13] :

  • Algue nori (15 à 200 µg par gramme)
  • Wakamé (120 à 312 µg par gramme)
  • Morue (116 µg pour 100 g) ; • le thon frais (80 µg pour 100 g)
  • Œufs durs (50 µg pour 2 œufs)
  • Pruneaux (10 µg pour 100 g).

À l’inverse, certaines substances bloquent l’action de l’iode. C’est le cas par exemple du tabac, du fluor (dentifrice), du chlore (eau du robinet) et certaines crucifères lorsqu’ils sont mangés crus (chou, navet, moutarde, raifort…).

En cas de déficit avéré, une supplémentation est aussi possible avec l’accord de votre médecin.

Sachez aussi que les femmes ont des besoins en iode supérieurs pendant la grossesse. L’iode est en effet essentiel pour un bon développement du fœtus et de son système nerveux[14].

Pourquoi trop d’iode n’est pas forcément bon non plus

Il ne faut pas manquer d’iode, mais il ne faudrait pas en avaler trop non plus.

Plusieurs études ont trouvé que certaines hypothyroïdies, notamment celle d’Hashimoto, pourraient être déclenchées lorsqu’on consomme trop d’iode.

Dans une étude chinoise de 2006 publiée par le New England Journal of Medicine, des chercheurs ont donné de l’iode à trois groupes de personnes : un groupe qui manquait d’iode, un qui avait des apports adéquats, et un dernier qui en consommait trop.

Les personnes qui consommaient suffisamment d’iode et celles qui en consommaient trop avaient un risque plus élevé de développer une hypothyroïdie infraclinique et une thyroïdite auto immune.

Ce risque concernerait toutes les personnes ayant au départ une TSH légèrement (plus de 2) à modérément élevée (plus de 6) et des anticorps anti thyroïdiens[15].

Une étude coréenne a trouvé́ qu’en réduisant à 100 μg/j la consommation d’iode d’un groupe de patients atteints de thyroïdite de Hashimoto, 80 % des malades allaient mieux après 3 mois[16].

La supplémentation en iode n’est donc pas forcément recommandée en cas d’hypothyroïdie d’origine auto immune. Dans tous les cas, il est important de surveiller votre taux d’iode pour éviter une carence ou un excès.

Amicalement,

Florent Cavaler





[1] La plus grande centrale nucléaire d’Europe touchée par des frappes, Le Matin, 4 mars 2022.
[2] Laura Fonteneau, Iode en pharmacie : achat, nucléaire, radioactivité, utile ?, Le Journal des Femmes, 14 mars 2022.
[3] Marc Antognetti, Pourquoi prendre de l’iode en cas d’accident nucléaire ?, France Soir, 18 mars 2022.
[4] Mesures de radioactivité en cas de crise nucléaire : les principaux radionucléides rejetés en cas d’accident affectant une centrale nucléaire, IRSN.
[5] Radioactivité (rayonnements ionisants) et cancer, Cancer-environnement, octobre 2019.
[6] Mesures de radioactivité en cas de crise nucléaire : les principaux radionucléides rejetés en cas d’accident affectant une centrale nucléaire, IRSN.
[7] Laura Fonteneau, Iode en pharmacie : achat, nucléaire, radioactivité, utile ?, Le Journal des Femmes, 14 mars 2022.

[8] Lucia S., L’iode, le crétin et les Alpes, Le temps, 28 février 2014.
[9] L’essentiel sur l’iode, Alvityl.
[10] David Cavaler, Stimuler la thyroïde sans hormones, c’est possible aussi !, Journal de la médecine anti-âge N°2, février 2017.
[11] Lucia S., L’iode, le crétin et les Alpes, Le temps, 28 février 2014.
[12] Dr Jean-Paul Curtay, Comment soulager naturellement l’hypothyroïdie en cinq étapes, Les Dossiers de Santé & Nutrition, N°83, août 2018.
[13] Idem.
[14] Delphine Lefebvre, Vos choix alimentaires sont-ils une cause de carence en iode ?, Solutions Naturopathie N°35, mai 2021.
[15] Teng W, Shan Z, Teng X, Guan H, Li Y, Teng D, Jin Y, Yu X, Fan C, Chong W, Yang F, Dai H, Yu Y, Li J, Chen Y, Zhao D, Shi X, Hu F, Mao J, Gu X, Yang R, Tong Y, Wang W, Gao T, Li C. Effect of iodine intake on thyroid diseases in China. N Engl J Med. 2006 Jun 29;354(26):2783-93.
[16] Yoon S-J. The effect of iodine restriction on thyroid function in patients with hypothyroidism due to Hashimoto’s thyroiditis. Yonsei Medical Journal. 2003;44(2):227-235.

8 réponses à “Iode : pas seulement pour les catastrophes nucléaires”

  1. Parent Nicole dit :

    Merci pour vos articles
    Si on est allergique à l’iode que faire ?
    Y a t’il une solution

  2. Brunerie Natacha dit :

    Bonjour je suis sous Levothyrox 50 pour hypothyroïdie hashimoto….puis je me suplementer en iode ?

  3. Fabienne dit :

    Merci beaucoup pour ce dossier complet et précieux sur l’iode qui nous donne tous les éléments et aliments qui nous permettent d’équilibrer notre organisme et de nous redonner notre autonomie sur notre santé.
    Merci beaucoup

  4. Nadine dit :

    Et si on n’a plus de glandes thyroïde suite à une opération et sous lévothyrox à vie, Ue fait-on ?

  5. M Bodel dit :

    Bonjour je souffre de la thyroïde,mais moi elle ce désagrège,je suis sous levothyrox 88mg et de gros problèmes de jambes et on ne trouve rien pour le moment. Comment faire j’aimerais me soigner naturellement,merci beaucoup

  6. ROBERT dit :

    Bonjour
    J’adore vos articles. Cependant, à chaque fois qu’on parle de la thyroïde, seule l’hypothyroïdie est évoquée. A quel moment allez-vous enfin parler de l’hyperthyroïdie ?
    Merci de votre réponse.
    Cordialement
    Véronique

  7. Chane Hive dit :

    Bonjour. Vos articles sont bien. Tous les matins c’est ma première lecture. Je n’aime pas les explications trop longues pour arriver à la fin au même point
    Bonne continuation

  8. Gravatte dit :

    Merci pour cette article tellement précieux
    Pouvez vous répondre svp
    Si on a de l hypertension on réduit la consommation de sel donc on est en carence en iode au niveau de la thyroïde ?

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