Appel national : la science recherche 100’000 donneurs… de matière fécale

Chère lectrice, cher lecteur,

Ceci n’est pas une blague.

Le 16 septembre 2022, des chercheurs ont lancé un appel général à la population française de don de… matières fécales.

Le but : collecter 100’000 échantillons de selles d’ici 2027, afin de « cartgraphier » le microbiote intestinal des Français[1].

L’affaire est très sérieuse. Elle est initiée par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) avec les hôpitaux de Paris.

Et c’est, à mon avis, une très bonne nouvelle.

Nos excréments retrouvent leurs lettres de noblesse

Les anciens savaient que notre santé globale était intimement liée à notre transit.

Au Moyen âge, les selles étaient même l’indicateur essentiel d’une bonne ou mauvaise santé[2].

Les historiens estiment d’ailleurs que la formule de politesse « Comment allez-vous ? » serait un raccourci de l’expression « Comment allez-vous à la selle ?[3] »

C’est dire !

Vous le voyez, il y avait, à cette époque, une grande attention portée à la qualité de notre matière fécale.

Cela a changé au fil des siècles.

Avec les découvertes sur la transmission des germes infectieux et l’importance de l’hygiène, les selles sont devenues peu à peu un sujet honteux, qu’il faut à tout prix cacher…

Mais ces vingt dernières années, les nouvelles découvertes sur le microbiote ont permis de confirmer le rôle crucial que celles-ci jouent sur notre santé.

Découverte du deuxième cerveau dans les années 1990

Dans les années 1990, notamment grâce aux travaux du Pr Michael D. Gershon, chercheur à l’Université de Columbia, les scientifiques découvrent que les parois de l’intestin sont tapissées de plus de 200 millions de neurones[4].

Cela lui vaut le surnom de « deuxième cerveau ».

À partir de cette découverte, tout s’accélère.

La communauté scientifique se rend alors compte qu’elle avait tout faux sur le rôle des bactéries qui vivent dans nos intestins : elles ne font pas que digérer des aliments, mais sont en relation avec l’ensemble du corps et pourraient avoir un rôle capital dans de nombreux problèmes de santé.

Aujourd’hui, nos connaissances sur ce monde microscopique dépassent tout ce que l’on aurait pu imaginer il y a 30 ans.

Vous êtes un être bactérien

Il y aurait environ 38’000 milliards de bactéries dans notre corps. C’est plus que les quelques 30’000 cellules humaines.

Nous serions donc davantage bactériens qu’humains.

Sans compter les virus, les parasites, etc.

On ne les trouve pas seulement dans notre intestin, mais aussi dans la bouche et le nez, sur la peau, dans les poumons ou encore au niveau des organes sexuels.

Et leur fonction exacte est encore mal connue aujourd’hui.

Mais ce qu’on sait, c’est que ces microbes interviennent dans pratiquement tous les mécanismes de notre santé (immunitaire, digestif, cognitif, hormonal, émotionnel…) :

  • En 2018, l’Association Alzheimer avait présenté quatre études qui suggéraient un lien entre la maladie d’Alzheimer et certaines bactéries intestinales. En modifiant le microbiote de souris grâce à la transplantation fécale, une équipe de l’Oregon Health & Science University, s’est aperçue que le comportement et les capacités cognitives des souris receveuses étaient modifiés… ce qui pourrait avoir un impact direct sur la maladie d’Alzheimer.
  • Des chercheurs de l’université Emory l’ont prouvé en échangeant simplement la flore intestinale de souris obèses avec celle de souris saines. Les souris obèses colonisées par la flore bactérienne de souris saines avaient alors 42 % de graisse en moins que leurs congénères, alors qu’elles mangeaient davantage qu’elles.
  • Des travaux publiés dans le prestigieux journal Science ont découvert que certaines bactéries pourraient jouer un rôle protecteur durant la radiothérapie : des souris exposées à des doses de radiation potentiellement mortelles étaient protégées par les lachnospiracées et les entérocoques, qui atténuaient l’exposition aux radiations et ses effets sur la santé.
  • Plusieurs travaux ont également montré les liens entre microbiote et maladies « psy » comme la dépression, la schizophrénie ou les troubles bipolaires. La sérotonine, l’hormone du bonheur, est d’ailleurs produite à plus de 90 % par nos bactéries intestinales.
  • En 2014, des chercheurs américains ont également découvert que les probiotiques pourraient agir sur la dépression et l’anxiété. Dans le journal Scientific reports, une équipe a aussi démontré que la prise de prébiotiques pourrait avoir un effet positif sur l’anxiété.
  • En 2021, la revue Frontiers in Psychiatry a démontré que les personnes qui ressentent peu la solitude et ont un plus haut niveau de compassion disposent d’une plus grande diversité de leur microbiote.
  • Cancer : des recherches menées par des scientifiques de l’Université de Nottingham, de Ningbo et de l’Université agricole du Shanxi (Chine), ont découvert que le toxoplasme (encore lui) pourrait s’attaquer aux tumeurs « froides », autrement dit celles issues d’une mutation génétique (cancer héréditaire), qui sont moins sensibles à l’immunothérapie.

La liste est impressionnante, et il y a encore tant de choses à découvrir sur ce monde microscopique.

Dites-moi comment sont vos selles
et je vous dirai qui vous êtes

Le projet de l’Inrae pourrait permettre d’aller encore plus loin dans la compréhension de notre microbiote intestinal.

Actuellement, les chercheurs ne possèdent « que » 3000 échantillons de selles, tous prélevés chez des malades[5].

Ce serait une grande première d’étudier le microbiote à plus large échelle, et sur une population aussi bien malade qu’en bonne santé.

« Nous avons encore énormément à apprendre en caractérisant les microbiotes des individus en bonne santé » a expliqué Joël Doré, directeur de recherche à l’Inrae[6].

Si vous souhaitez participer à ce projet pour le bien de la science, c’est plutôt simple.

Il vous suffit de vous inscrire sur ce site.

Vous recevrez alors par la Poste un kit de prélèvement, que vous renverrez au laboratoire une fois rempli.

La démarche n’est pas autorisée aux mineurs, aux personnes qui ont suivi une cure d’antibiotiques, subi une coloscopie dans les trois mois précédant le don, ou sont porteurs d’une stomie digestive.

Pour les autres, il n’y a aucune contre-indication.

Et si vous souhaitez, de votre côté, en savoir plus sur la qualité de vos selles, sachez qu’il existe un moyen simple de la mesure : l’échelle de Bristol.

Vous connaissez l’échelle de Richter, qui permet de mesurer la magnitude d’un tremblement de terre ?

Eh bien c’est exactement la même chose pour l’échelle de Bristol, mais pour mesurer l’état de vos selles.

Si cela vous intéresse, je détaille cet outil de mesure dans une précédente lettre, que vous pouvez lire ou relire en cliquant ici.

Amicalement,

Florent Cavaler





[1] Eva Leray, En allant aux toilettes, vous pouvez aider la science… et ce n’est pas une blague, L’édition du Soir, 19 septembre 2022.
[2] Expressions C : Comment ça va, Expressions françaises.
[3] Idem.
[4] Olivia Muller, Le ventre, notre deuxième cerveau, Marie Claire, 2016.
[5] Eva Leray, En allant aux toilettes, vous pouvez aider la science… et ce n’est pas une blague, L’édition du Soir, 19 septembre 2022.
[6] Idem.

3 réponses à “Appel national : la science recherche 100’000 donneurs… de matière fécale”

  1. Anne B dit :

    Bonjour,

    Je me demandais pourquoi les échantillons utilisés pour les hémocultures ne pouvaient pas être utilisés pour ces etude? Si c’est une question d’autorisation du pâtirent il suffirait de demander de cocher une case qui autorise l’étude scientifique
    Merci pour votre article interessant.

    Anne

  2. coulon dit :

    bonjour merci pour toutes ces infos très intéressantes, si on participe aura t on des résultats concernant notre santé ?,

    • Florent dit :

      Bonjour,
      Bonne question. Cela m’étonnerait, mais vous pouvez toujours poser la question aux initiateurs de ce projet.
      Amicalement,
      Florent

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